Je suis conscient de mes limites. Si je possédais un talent qui me permette de convaincre le troupeau pollué par les pesticides du kit à penser de l’ère de l’industrie, je le ferais volontiers, mais ce n’est pas le cas. Ce texte est donc destiné seulement à ceux dont les convictions rejoignent déjà les miennes. Mais, parce que nous sommes tout de même assez nombreux, c’est déjà un grand plaisir de partager avec la communauté des fidèles … de la fidélité.

Les mots, eux-mêmes, sont objet de torsions du point de vue de l’acception des termes. L’amour (classique) qui a désigné un « don de soi réciproque » a, par sa logique interne, universellement inspiré l’exclusivité, or cette dernière pour l’amour (libéral), qui désigne de facto une consommation, est un non-sens. En effet, si l’on aime les éclairs au chocolat, pourquoi se priverait-on de tartes aux fraises que l’on adore aussi et qui sont tout autant disponibles ? Aujourd’hui, l’être humain qui a muté postule à la condition d’objet de désir. Le mot amour, comme le mot fidélité, est toujours là (qu’il se rapporte à un partenaire ou à n’importe quoi) mais il n’a plus le même sens. Entrant dans la logique consumériste, la fidélité libérale est séquentielle et, comme la globalité de la production industrielle d’objets disponibles sur le marché, sa propension n’est pas de durer.

Le mimétisme des interrelations individualistes tend globalement à réduire en des sujets de foire l’amour et le sexe qui sont mis en scène et s’échangent. L’ambition affichée est de prendre le plus possible, comme on se gave pour jouir du palais. Cependant, le vrai plaisir sexuel, comme le plaisir gastronomique, ne trouve sa place ni dans la standardisation du nombre ni dans l’obésité. La modernité si adroite à soutenir le marché, est loin d’être habile à porter un enchantement du sexe pourtant obsessionnel sous son régime.

Les foules, embarquées dans le théâtre des opérations sexuelles, pensent sortir de l’ordinaire, alors qu’elles sont dans la plus commune des conventions, celle de la réification, tout en croyant y échapper. Dans ce contexte, l’on se quitte dès que l’on trouve l’autre « naze », ce qui donne déjà une première idée du niveau où l’on se situe. Les polyamours dont se vantent ceux qui se pètent les bretelles sont dimensionnés pour les caractères faibles.

En revanche, ceux qui, fidèles à eux-mêmes, osent l’aventure de la fidélité dans « le monde de l’autre » sont les caractères forts du monde contemporain. La perfection sexuelle advient quand les corps se métamorphosent au fil du temps dans la richesse du long terme ; au-delà de cette extraordinaire aventure, c’est au voyage lui-même que la fidélité est dédiée.

Le monde abandonné aux lois du marché gèrent l’absence de vertu humaine de la même manière que l’élevage intensif des poulets. Sans estime réciproque, la sexualité épanouie est absente. La loyauté est l’alchimie du sexe, elle impose dans son cheminement la genèse des vertus. Il s’agit d’être fier de l’autre, motif de fierté pour l’autre, et conséquemment de s’élever ensemble.

Les amants apparemment prolixes, pourraient avoir acquis de l’expérience et être des exemples qui magnifient la sexualité. Malheureusement, dans le chaos polyamoureux, étant commis à la médiocrité, la divinité du sexe échappent aux postulants. Le dialogue avec nos contradicteurs est difficile, car ils n’ont pas la moindre idée des racines et de la biologie sacrée de l’amour.

Il est saugrenu de constater que ceux-là qui croient être « dévergondés » sont aussi ceux qui reprochent aux vieux couples paysans de s’être trop préoccupés de patrimoine, alors qu’ils ont eux-mêmes passé le cap ultime de la vénalité matérielle consistant à instrumentaliser, aussi bien dans les relations personnelles, que dans les professions… leur propre corps ; devenus des pions, ils sont devenus des facteurs d’ajustement économique !

Alors qu’elle est au cœur de la transcendance sexuelle, la fidélité est lourdement diffamée par nos adversaires, étiquetée dans le registre morale et répression. La coercition serait exercée par les moralisateurs nous dit-on ! En fait, la domination et la contrainte sont bien plus fortes là où le sexe est surexposé et instrumentalisé que là où il est intime et libre. Quand le seul horizon sexuel est le show quotidien de la société marchande, mieux vaut oublier la fidélité et rentrer dans le rang, rejoindre la multitude des frustrés (sentiment antithétique à la fidélité partagée).

Roger Bei